Le Cameroun en Otage : Les Chaînes Invisibles du Sous-Développement

Publié le 15 mars 2025 à 23:37

Introduction

L'Afrique, malgré ses immenses richesses naturelles et son potentiel humain exceptionnel, demeure enfermée dans un cycle de sous-développement qui semble inextricable. Le Cameroun, à l’image de nombreux pays du continent, possède toutes les ressources nécessaires pour prospérer : pétrole, bois, minerais, terres arables et une jeunesse dynamique. Pourtant, il peine à assurer le bien-être de sa population et à amorcer un véritable décollage économique et social.

Ce paradoxe soulève une question fondamentale : pourquoi un pays aussi doté reste-t-il en proie à la pauvreté, à la corruption et à la stagnation ? Derrière cette réalité se cache un système profondément enraciné, où la gouvernance inefficace, les divisions ethniques, l’exclusion de la diaspora et l’instrumentalisation de la jeunesse sont autant de freins au progrès.

Ce texte explore les véritables causes du blocage du Cameroun et, plus largement, de l’Afrique, en mettant en lumière les mécanismes politiques et économiques qui perpétuent cet état de dépendance et d’inertie. Il s’agit d’une analyse critique visant à comprendre comment ces « chaînes invisibles » entravent le développement du continent et du Cameroun en particulier.

I. La Pauvreté Comme Instrument de Domination

Au Cameroun, la pauvreté ne se résume pas à une simple conséquence du sous-développement, elle constitue un instrument politique délibérément entretenu par les dirigeants pour asseoir leur pouvoir. À chaque période électorale, la distribution de denrées alimentaires et de petites sommes d’argent devient une pratique courante. Dans les zones rurales, où la population est confrontée à une misère extrême, ces dons ponctuels servent de monnaie d’échange contre des votes. En retour, ceux qui sont élus ne mettent en place aucune politique durable visant à améliorer réellement les conditions de vie des citoyens. Cette situation crée un cercle vicieux dans lequel la population, privée de moyens suffisants pour s’émanciper, demeure captive d’un système qui exploite sa précarité.

L’absence de développement des infrastructures de base participe également à cette stratégie de domination. Les écoles en ruine, les routes impraticables et les hôpitaux sous-équipés sont autant de preuves que l’État maintient volontairement les populations dans la dépendance. Le manque d’eau potable, les coupures d’électricité à répétition et la vétusté des routes ne relèvent pas de simples négligences administratives, mais sont des outils de contrôle social. Loin d’être des accidents, ces déficiences structurelles permettent aux autorités de se positionner en dispensateurs de solutions temporaires, renforçant ainsi leur emprise sur les citoyens.

Par ailleurs, le Cameroun continue de bénéficier de financements internationaux sous forme de prêts et de subventions, censés améliorer les infrastructures et les services sociaux. Toutefois, ces fonds sont régulièrement détournés ou mal gérés, illustrant un mode de gouvernance où la corruption est systémique. L’un des exemples les plus frappants est celui des détournements massifs survenus en 2020, lorsque des milliards de francs CFA destinés à la gestion de la pandémie de Covid-19 ont disparu. Pendant que les hôpitaux manquaient de matériel et que les personnels de santé restaient impayés, certains proches du pouvoir profitaient de cette manne financière. Cette mauvaise gestion chronique contribue à l’endettement croissant du pays, dont les ressources sont dilapidées dans des projets fictifs ou inachevés, sans jamais profiter directement à la population.

L’éducation, qui pourrait être un levier d’émancipation, est elle aussi délibérément négligée. Le système scolaire public souffre d’un cruel manque de moyens : les infrastructures sont vétustes, les enseignants sous-payés et les programmes inadaptés aux réalités du marché du travail. Cette situation produit des générations de jeunes diplômés sans perspective d’emploi, notamment dans des domaines comme le droit ou l’économie, où l’offre dépasse largement la demande. Pendant ce temps, les enfants de l’élite politique sont scolarisés dans des établissements privés onéreux ou envoyés à l’étranger, garantissant ainsi que seuls ceux issus des classes dirigeantes aient accès aux meilleures opportunités professionnelles. Ainsi, le système éducatif devient un outil de reproduction sociale, empêchant l’émergence d’une population critique et autonome, capable de remettre en question l’ordre établi.

Loin d’être une fatalité, la pauvreté au Cameroun est donc instrumentalisée pour maintenir un pouvoir en place qui se nourrit de la précarité des citoyens. Entre l’achat des votes, la destruction intentionnelle des infrastructures publiques, le détournement des aides internationales et la négligence du système éducatif, tout concourt à priver la population des moyens de s’affranchir de ce contrôle. Ce mécanisme bien huilé empêche toute remise en cause du statu quo et garantit la perpétuation d’une élite au pouvoir, au détriment du développement du pays.

II. Une Gouvernance Sans Vision : Entre Corruption et Stagnation

Le Cameroun, pays aux immenses ressources naturelles et humaines, aurait pu être une puissance économique en Afrique. Pourtant, depuis plus de 40 ans, la gouvernance du pays est marquée par une gestion inefficace, caractérisée par l’improvisation, le clientélisme et l’absence totale de vision à long terme. Plutôt que de concevoir des politiques économiques et sociales ambitieuses, les dirigeants se contentent d’administrer l’existant, veillant avant tout à préserver leurs privilèges. Cette absence de planification et de leadership transforme le pays en un État qui avance sans direction claire, au gré des crises et des décisions arbitraires.

La corruption constitue l’épine dorsale du système politique camerounais. Elle ne se limite pas à quelques scandales occasionnels, mais s’est enracinée dans toutes les strates de l’administration, devenant la norme plutôt que l’exception. Les marchés publics sont l’une des principales sources de détournement de fonds. Les infrastructures sont souvent annoncées en grande pompe, financées par des emprunts internationaux ou des aides publiques, mais une fois les fonds débloqués, une grande partie disparaît dans les poches d’une élite bien installée. L’autoroute Yaoundé-Douala, qui devait être livrée depuis plus d’une décennie, reste inachevée malgré les milliards de FCFA engloutis dans sa construction. Les rares portions ouvertes sont déjà en mauvais état, reflétant la mauvaise qualité des travaux et la gestion désastreuse des projets d’infrastructure.

Le secteur hospitalier est un autre exemple frappant de cette mauvaise gouvernance. Alors que des hôpitaux flambant neufs sont inaugurés avec des budgets astronomiques, ils manquent de matériel, de personnel qualifié et de médicaments quelques mois après leur ouverture. L’hôpital de référence de Sangmélima, censé être un modèle de modernité, fonctionne en sous-régime, tandis que les hauts responsables du gouvernement préfèrent aller se faire soigner en Europe aux frais de l’État. Pendant ce temps, la population se retrouve livrée à elle-même, contrainte de se débrouiller face à un système de santé délabré.

L’administration camerounaise est gangrenée par le népotisme et l’incompétence. Les postes clés ne sont pas attribués en fonction du mérite, mais selon des critères de loyauté politique et ethnique. Les gouverneurs, préfets et directeurs d’entreprises publiques sont nommés sur la base de leur proximité avec le régime plutôt que de leurs compétences. L’Opération Épervier, qui avait été présentée comme une vaste campagne de lutte contre la corruption, s’est avérée être un instrument de règlement de comptes, ciblant uniquement ceux qui ont perdu la faveur du régime. Pendant ce temps, les véritables architectes du pillage des ressources publiques continuent de jouir de leur impunité.

L’absence de planification économique se manifeste également par la dépendance du Cameroun aux importations. Malgré ses terres fertiles et ses ressources naturelles abondantes, le pays continue d’importer du riz, du blé et même du poisson, alors qu’il dispose d’un potentiel agricole énorme. La production locale est négligée au profit des importations, qui bénéficient à une élite bien placée qui tire profit des marchés d’approvisionnement. Plutôt que de développer une industrie nationale pour transformer le cacao ou le bois, le Cameroun se contente d’exporter ces matières premières brutes, laissant les autres pays en récolter les bénéfices en termes de valeur ajoutée. Cette politique économique de courte vue empêche la création d’emplois et maintient le pays dans une situation de dépendance.

Le pays souffre également d’une dette croissante, contractée pour financer des projets qui ne voient jamais le jour. L’aéroport de Kribi, censé être une infrastructure stratégique, est sous-exploité faute de connexions routières et ferroviaires adaptées. La gestion des fonds publics est un véritable gouffre, avec des prêts contractés auprès du FMI ou de la Banque mondiale pour des projets qui restent bloqués ou inachevés. Le scandale des fonds Covid-19 en est une parfaite illustration : plus de 180 milliards de FCFA avaient été alloués pour faire face à la pandémie, mais la plupart des hôpitaux sont restés sous-équipés, et personne n’a été tenu pour responsable de la disparition de ces fonds.

Pendant ce temps, le président Paul Biya, en poste depuis 1982, passe la majeure partie de son temps en Suisse, laissant son gouvernement fonctionner en roue libre. Les décisions importantes sont souvent retardées, car aucun ministre n’ose prendre d’initiative sans son approbation. Ce vide au sommet de l’État a pour conséquence un pays qui avance sans direction claire, où les priorités nationales sont dictées non pas par les besoins de la population, mais par les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir.

III. Une Démocratie de Façade : Élections et Répressions

Le Cameroun se présente officiellement comme une démocratie multipartite, mais cette apparence est trompeuse. En réalité, le pays fonctionne comme un régime autoritaire où le pouvoir est verrouillé par un système bien rodé qui empêche toute véritable alternance. Les élections sont organisées non pas pour permettre aux citoyens de choisir leurs dirigeants, mais pour donner une légitimité artificielle à un pouvoir déjà décidé d’avance.

Le processus électoral est largement contrôlé par le régime en place. L’organe chargé d’organiser les élections, ELECAM, est composé de personnalités proches du gouvernement, garantissant ainsi des résultats favorables au parti au pouvoir. Lors des élections présidentielles de 2018, le principal opposant, Maurice Kamto, avait revendiqué à juste titre la victoire, mais les résultats officiels ont attribué plus de 71 % des voix à Paul Biya. Les observateurs indépendants ont dénoncé de nombreuses irrégularités, notamment des bourrages d’urnes, des listes électorales falsifiées et des achats de votes.

Le découpage électoral est également conçu pour favoriser le parti au pouvoir. Les circonscriptions sont ajustées de manière à diluer le vote de l’opposition, tandis que les bastions du régime bénéficient d’une représentation disproportionnée. Cette manipulation structurelle rend presque impossible une victoire de l’opposition dans les urnes.

Mais au-delà des manipulations électorales, le régime a recours à la répression pour écraser toute contestation. Les manifestations sont systématiquement interdites sous prétexte de trouble à l’ordre public. Lorsque des citoyens osent braver cette interdiction, ils sont brutalement dispersés par les forces de l’ordre à coups de gaz lacrymogène et parfois de balles réelles. Lors des manifestations post-électorales de 2018, de nombreux militants de l’opposition ont été arrêtés et placés en détention sans procès.

La presse indépendante est muselée et soumise à des pressions constantes. La télévision nationale CRTV ne diffuse que la propagande du régime, tandis que les médias critiques sont fermés ou intimidés. Les journalistes qui osent enquêter sur des scandales de corruption ou sur les dérives du pouvoir prennent un risque considérable. Martinez Zogo, un journaliste d’investigation, a été assassiné après avoir révélé des affaires de détournements de fonds impliquant des hauts responsables du gouvernement. Ce climat de peur dissuade de nombreux professionnels des médias d’exercer leur métier en toute indépendance.

Internet et les réseaux sociaux, qui constituent l’un des rares espaces où les Camerounais peuvent exprimer librement leur opinion, sont régulièrement censurés. En période électorale ou lors de manifestations, le gouvernement n’hésite pas à couper l’accès à Internet pour empêcher toute mobilisation. Cette censure s’accompagne d’une surveillance accrue des opposants politiques et des militants des droits de l’homme, qui sont souvent arrêtés sous des accusations fallacieuses d’atteinte à la sûreté de l’État.

Face à cette situation, la population camerounaise est maintenue dans un climat de peur et de résignation. Beaucoup de citoyens ne participent plus aux élections, convaincus que leur vote ne changera rien. Cette absence de confiance dans les institutions affaiblit davantage le tissu social et empêche l’émergence d’une véritable dynamique de changement.

En somme, le Cameroun fonctionne comme une démocratie de façade, où les mécanismes électoraux sont manipulés pour préserver un système en place depuis des décennies. Tant que ce verrouillage institutionnel perdurera, aucune alternance réelle ne sera possible, et le pays continuera à stagner sous un régime qui se maintient par la fraude et la répression.

IV. Une Jeunesse Écartée : Distraction et Absence de Perspectives

Au Cameroun, la jeunesse constitue la majorité de la population, une force qui, dans un contexte de bonne gouvernance, devrait être le moteur du développement et du progrès. Pourtant, elle est maintenue à l’écart des décisions majeures et privée de perspectives réelles. Loin d’être un hasard, cette exclusion est le résultat d’une politique consciente visant à détourner la jeunesse des enjeux politiques et économiques du pays. Plutôt que de lui offrir des opportunités concrètes, le régime l’enferme dans un cycle de distraction, de précarité et de soumission, empêchant ainsi l’émergence d’une nouvelle génération capable de prendre en main l’avenir du pays.

L’un des principaux obstacles à l’épanouissement de la jeunesse camerounaise est l’absence de politiques éducatives adaptées aux réalités économiques. Les universités camerounaises produisent chaque année des milliers de diplômés, mais sans débouchés concrets. Les filières enseignées sont souvent déconnectées des besoins du marché du travail, et les formations techniques et professionnelles, qui pourraient permettre une insertion rapide dans le tissu économique, sont largement négligées. Résultat : un grand nombre de jeunes diplômés se retrouvent sans emploi, contraints de se tourner vers le secteur informel ou de tenter l’émigration. L’État, au lieu de créer des conditions favorables à l’insertion des jeunes sur le marché du travail, laisse cette situation perdurer, ce qui alimente un sentiment de frustration et de désespoir chez une grande partie de la population juvénile.

Plutôt que d’encourager la jeunesse à participer activement à la construction du pays, le régime s’efforce de l’occuper par des distractions futiles. La culture du divertissement de masse est largement promue, notamment à travers les médias et les réseaux sociaux. Les émissions de téléréalité, les scandales de célébrités et les compétitions musicales occupent une place démesurée dans l’espace médiatique, reléguant au second plan les débats sur les problèmes réels du pays. Les jeunes, abreuvés de contenus légers et superficiels, sont maintenus dans une bulle de distraction qui les éloigne des enjeux politiques et sociaux. Cette stratégie vise à neutraliser toute velléité de contestation en occupant les esprits avec des sujets anodins plutôt qu’avec des réflexions critiques sur l’avenir du Cameroun.

La précarité économique dans laquelle est plongée la jeunesse joue également un rôle clé dans son exclusion politique. Le chômage de masse et l’absence de perspectives font que de nombreux jeunes se retrouvent dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de l’État ou des réseaux clientélistes. Pour obtenir un emploi dans l’administration ou accéder à certaines opportunités, il ne suffit pas d’avoir des compétences ; il faut surtout connaître les bonnes personnes, appartenir au bon réseau ou montrer une loyauté sans faille au régime. Ce système de favoritisme et de népotisme bride les ambitions et décourage l’initiative personnelle. Ceux qui osent contester cet ordre établi sont rapidement marginalisés, tandis que ceux qui acceptent de jouer le jeu bénéficient de petits privilèges qui leur garantissent une certaine stabilité.

Les rares jeunes qui tentent de s’impliquer en politique ou de revendiquer un changement sont violemment réprimés. Toute mobilisation étudiante est immédiatement perçue comme une menace pour le régime et fait l’objet d’une répression brutale. Les manifestations sont interdites, les leaders d’opinion sont intimidés et les mouvements de jeunesse sont infiltrés par des agents du pouvoir pour étouffer toute contestation avant même qu’elle ne prenne de l’ampleur. Cette répression constante crée un climat de peur qui dissuade les jeunes de s’engager activement dans la vie politique du pays. Beaucoup finissent par renoncer à toute action citoyenne, convaincus que le changement est impossible et que toute tentative de révolte sera sévèrement punie.

Face à cette réalité, l’émigration est devenue le seul horizon possible pour une grande partie de la jeunesse camerounaise. Chaque année, des milliers de jeunes tentent de quitter le pays en quête de meilleures opportunités à l’étranger, souvent au péril de leur vie. Certains se lancent dans des voyages clandestins à travers le désert et la Méditerranée, tandis que d’autres s’exilent vers l’Europe ou l’Amérique du Nord pour poursuivre des études, avec l’espoir de ne jamais revenir. Cette fuite des cerveaux appauvrit davantage le pays, car ceux qui partent sont souvent les plus qualifiés et les plus motivés. Pourtant, le gouvernement ne fait rien pour retenir cette jeunesse ou pour créer des conditions qui permettraient de la réintégrer dans le développement national.

Loin d’être un simple problème économique, l’exclusion de la jeunesse est une stratégie politique bien rodée qui permet au régime de se maintenir au pouvoir sans opposition sérieuse. Une jeunesse consciente et mobilisée représenterait une menace pour l’ordre établi, car elle exigerait des réformes, réclamerait des comptes et remettrait en question la gouvernance actuelle. C’est pourquoi le système en place préfère la maintenir dans un état de précarité et de distraction, l’empêchant ainsi de jouer pleinement son rôle d’acteur du changement.

V. La Division Ethnique et Régionale : Un Outil de Contrôle

Au Cameroun, la diversité ethnique et régionale, qui devrait être une richesse pour le pays, est au contraire instrumentalisée par le pouvoir en place pour maintenir un contrôle absolu sur la population. Plutôt que de promouvoir l’unité nationale, les dirigeants ont adopté une stratégie de division afin d’éviter toute mobilisation collective contre le régime. En opposant les différentes communautés les unes aux autres, le gouvernement crée un climat de suspicion et de rivalités permanentes, empêchant ainsi la formation d’un mouvement de contestation structuré et efficace.

L’une des méthodes les plus efficaces utilisées par le régime est le favoritisme ethnique dans les nominations aux postes stratégiques. Les hautes sphères de l’administration publique, de l’armée et des grandes entreprises d’État sont largement dominées par des individus issus des mêmes régions que le chef de l’État. Cette surreprésentation de certaines ethnies dans les centres de pouvoir crée une frustration au sein des autres communautés, qui se sentent marginalisées et exclues des décisions qui concernent pourtant l’ensemble du pays. Ce sentiment d’injustice alimente une méfiance généralisée et détourne les citoyens du véritable problème : un système politique qui profite à une minorité au détriment de l’ensemble de la population.

Cette instrumentalisation du facteur ethnique ne se limite pas à l’administration, elle est également visible lors des périodes électorales. Le pouvoir en place n’hésite pas à exploiter les clivages régionaux pour diviser l’électorat et empêcher toute coalition capable de menacer son hégémonie. Lors des campagnes, le discours politique met souvent en avant une rhétorique de méfiance à l’égard des autres groupes ethniques. Certains candidats sont présentés non pas en fonction de leur programme ou de leurs compétences, mais comme des représentants de leur communauté, ce qui réduit le débat politique à une simple question d’appartenance tribale. Cette manipulation permet au régime de détourner l’attention des vrais enjeux, comme la corruption, la mauvaise gestion des ressources et l’absence de politiques publiques efficaces.

La crise anglophone qui secoue le pays depuis plusieurs années est une conséquence directe de cette politique de division. Depuis l’indépendance, les régions anglophones du Cameroun ont été progressivement marginalisées par le pouvoir central, qui a imposé un système unitaire ne tenant pas compte des spécificités historiques et culturelles de ces populations. La suppression progressive du fédéralisme, qui garantissait une certaine autonomie aux régions anglophones, a alimenté un sentiment d’exclusion et de frustration. Plutôt que d’engager un dialogue constructif pour résoudre ces tensions, le gouvernement a choisi la répression brutale, ce qui a conduit à l’émergence d’un mouvement séparatiste et à une guerre civile qui a fait des milliers de morts. Cette situation illustre parfaitement la manière dont le régime exploite les divisions pour éviter toute remise en question de son autorité.

Au-delà du conflit anglophone, d’autres régions du pays souffrent également d’un traitement inégalitaire qui alimente les tensions. L’Extrême-Nord, une des zones les plus pauvres du Cameroun, est régulièrement négligée dans les investissements publics. Les infrastructures y sont quasi inexistantes, et les populations locales doivent se débrouiller avec des moyens dérisoires pour accéder aux services de base comme l’éducation et la santé. Ce manque de développement volontairement entretenu empêche ces régions de se structurer politiquement et économiquement, renforçant ainsi leur dépendance vis-à-vis du pouvoir central.

La division ethnique et régionale est également utilisée comme une arme contre l’opposition. Chaque fois qu’un leader politique ou un mouvement citoyen émerge pour défier le régime, celui-ci est rapidement discrédité en le présentant comme le représentant d’un groupe ethnique spécifique plutôt que comme un acteur national. Cette stratégie empêche l’opposition de rassembler un soutien populaire large et de proposer une alternative politique crédible. La méfiance entre les différentes communautés est si profondément ancrée que toute tentative d’union est immédiatement sabotée par des accusations de favoritisme régional ou ethnique.

L’un des aspects les plus pernicieux de cette politique de division est qu’elle finit par s’enraciner dans l’esprit des populations elles-mêmes. À force d’être alimentée par les discours officiels et les pratiques administratives, la méfiance intercommunautaire devient une réalité sociale qui se manifeste dans tous les aspects de la vie quotidienne. Les mariages interethniques sont parfois mal vus, les opportunités économiques sont souvent distribuées selon des critères régionaux, et même dans les entreprises privées, le tribalisme peut jouer un rôle dans le recrutement et la promotion des employés.

Pourtant, cette division ne profite qu’à une minorité. Pendant que les citoyens ordinaires se méfient les uns des autres et se battent pour des miettes, les véritables décideurs du pays continuent de piller les ressources nationales en toute impunité. Tant que cette stratégie de division restera en place, toute tentative de changement profond sera compromise, car un peuple divisé ne peut pas se mobiliser efficacement pour exiger des réformes et renverser un système corrompu.

Le Cameroun a pourtant tout à gagner en dépassant ces clivages artificiels et en construisant une nation fondée sur des principes d’égalité et de justice. Il est impératif de mettre en place des politiques qui favorisent l’intégration de toutes les communautés, garantissent une répartition équitable des ressources et encouragent un véritable dialogue national. Le développement du pays ne pourra se faire que si chaque Camerounais, quelle que soit son origine, se sent pleinement impliqué dans la construction de l’avenir collectif. Mais tant que le pouvoir en place continuera d’exploiter la division comme un outil de contrôle, le pays restera enfermé dans un cycle de tensions et d’instabilité, incapable de mobiliser pleinement ses forces pour progresser.

VI. L’Exclusion de la Diaspora : Une Perte Colossale pour le Cameroun

Le Cameroun possède une diaspora dynamique et hautement qualifiée, dispersée à travers le monde, notamment en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Ces millions de Camerounais établis à l’étranger ont réussi dans des domaines aussi variés que la médecine, l’ingénierie, la finance, l’entrepreneuriat et les nouvelles technologies. Ils disposent non seulement de compétences essentielles au développement du pays, mais aussi d’un pouvoir financier considérable qui pourrait être réinvesti dans l’économie nationale. Pourtant, au lieu de capitaliser sur cette force vive, l’État camerounais l’ignore, la marginalise et, dans certains cas, la combat activement. Plutôt que d’adopter des politiques favorisant l’implication de la diaspora dans le développement national, le gouvernement met en place des barrières administratives et juridiques qui empêchent ces Camerounais de contribuer efficacement à leur pays d’origine.

L’un des principaux obstacles à l’intégration de la diaspora dans l’économie nationale est l’interdiction de la double nationalité. Contrairement à des pays comme le Ghana, le Sénégal ou le Nigeria, qui ont su adapter leur législation pour faciliter l’implication de leurs ressortissants vivant à l’étranger, le Cameroun impose aux siens un choix radical : conserver la nationalité camerounaise ou l’abandonner s’ils souhaitent obtenir un passeport étranger. Cette disposition, loin d’être anodine, a des conséquences désastreuses. Un Camerounais qui acquiert une autre nationalité perd automatiquement ses droits dans son pays d’origine, ce qui signifie qu’il ne peut ni posséder de biens fonciers avec la même facilité qu’un citoyen local, ni occuper des fonctions publiques, ni même voter. Cette exclusion empêche des milliers de Camerounais qualifiés et prospères à l’étranger de jouer un rôle clé dans la construction du pays, limitant ainsi les opportunités d’investissement et de transfert de compétences.

Sur le plan économique, cette mise à l’écart est d’autant plus absurde que la diaspora camerounaise constitue l’une des principales sources de devises du pays. Chaque année, elle envoie plus de 1 500 milliards de FCFA en transferts de fonds vers le Cameroun, soit bien plus que l’aide publique au développement que le gouvernement reçoit des bailleurs internationaux. Ces fonds permettent à des millions de familles de survivre et de financer l’éducation, la santé et la consommation de base. Pourtant, cet argent n’est pas canalisé vers des projets structurants susceptibles de transformer durablement l’économie. Contrairement à des pays comme la Chine ou l’Inde, qui ont mis en place des mécanismes pour attirer les capitaux de leurs diasporas à travers des incitations fiscales et des facilités d’investissement, le Cameroun ne propose aucune politique ambitieuse pour encourager ces flux financiers à soutenir des projets locaux de développement. L’absence de cadre institutionnel adapté décourage toute initiative entrepreneuriale des expatriés et pousse beaucoup d’entre eux à investir ailleurs, dans des pays qui offrent des conditions plus favorables.

L’exclusion de la diaspora ne se limite pas à des considérations économiques et administratives. Elle est également politique. Depuis plusieurs années, les Camerounais de l’étranger sont de plus en plus perçus comme une menace par le régime en place. Leur indépendance financière, leur liberté de parole et leur accès à des plateformes internationales leur permettent de critiquer ouvertement les dérives du gouvernement, ce qui suscite la méfiance du pouvoir. Lors de l’élection présidentielle de 2018, par exemple, une grande partie de la diaspora s’est mobilisée en faveur de Maurice Kamto, principal opposant à Paul Biya. Cette implication a été perçue comme une tentative de déstabilisation du régime, renforçant l’hostilité du pouvoir à l’égard des Camerounais de l’étranger. Depuis, plusieurs leaders de la diaspora ont été harcelés, certains empêchés de rentrer au pays et d’autres placés sous surveillance par les services de renseignement.

Cette répression ne touche pas seulement les figures politiques, mais aussi les journalistes et les activistes issus de la diaspora. De nombreux Camerounais vivant en France, en Belgique ou aux États-Unis se sont engagés dans des mouvements citoyens dénonçant la corruption, les violations des droits de l’homme et la mauvaise gouvernance au Cameroun. Plutôt que d’écouter ces voix critiques et d’intégrer ces acteurs dans un dialogue constructif, le gouvernement les considère comme des « ennemis de l’État » et les accuse de comploter contre le pays. Cette hostilité atteint parfois des sommets, avec des tentatives d’intimidation, des menaces et des poursuites judiciaires visant à réduire ces voix au silence.

Loin d’être une fatalité, cette exclusion de la diaspora est un choix politique délibéré qui reflète la crainte du régime de voir émerger une force capable de remettre en question l’ordre établi. Pourtant, l’histoire a montré que les pays qui intègrent pleinement leur diaspora dans leur stratégie de développement connaissent des avancées significatives. Le Rwanda, par exemple, a su tirer parti de ses expatriés pour reconstruire le pays après le génocide de 1994, en mettant en place des politiques attractives pour les inciter à investir et à participer à la transformation économique. De même, des pays comme le Maroc et l’Éthiopie ont mis en place des mécanismes permettant aux membres de leur diaspora de participer activement à la vie politique et économique nationale, en facilitant notamment les investissements et en leur accordant une reconnaissance officielle.

Si le Cameroun continue sur cette voie, il risque de perdre une ressource précieuse qui pourrait accélérer son développement. La révision de la loi sur la nationalité, la mise en place de politiques incitatives pour attirer les investissements des expatriés et l’instauration d’un dialogue constructif entre le gouvernement et la diaspora sont autant de mesures qui pourraient transformer cette relation conflictuelle en un véritable levier de croissance. Mais tant que le régime privilégiera la méfiance et l’exclusion, le Cameroun continuera de se priver d’une force essentielle à son progrès.

VII. Une Économie Construite pour l’Exportation et Non pour le Développement Local 

Le Cameroun est un pays doté de vastes ressources naturelles, mais son économie est structurée de manière à répondre aux exigences des marchés étrangers plutôt qu’aux besoins fondamentaux de sa propre population. Depuis l’époque coloniale, le pays a été façonné pour être un fournisseur de matières premières destinées à l’exportation, sans véritable politique de transformation locale. Cette dépendance maintient le pays dans une situation de fragilité économique, où les richesses produites ne bénéficient pas aux citoyens, mais profitent principalement aux multinationales et aux élites dirigeantes.

L’un des exemples les plus frappants de cette exploitation déséquilibrée est le cacao. Le Cameroun est l’un des plus grands producteurs mondiaux de fèves de cacao, une ressource précieuse qui alimente l’industrie chocolatière occidentale. Pourtant, il n’existe aucune véritable industrie de transformation du cacao à grande échelle sur le territoire national. Les fèves sont exportées brutes vers l’Europe, où elles sont transformées en chocolat et revendues à des prix exorbitants, y compris sur le marché camerounais. Ce paradoxe illustre la manière dont le pays se prive de la valeur ajoutée générée par la transformation de ses propres matières premières. Plutôt que d’investir dans des usines capables de produire du chocolat localement, de créer des emplois et de générer des revenus pour l’État, le gouvernement laisse le secteur entre les mains des entreprises étrangères qui dictent les prix et captent l’essentiel des bénéfices.

Le secteur pétrolier est un autre exemple criant de cette dépendance économique. Malgré des gisements considérables de pétrole, le Cameroun est obligé d’importer la majorité de ses produits pétroliers raffinés, faute d’infrastructures adaptées. La Société nationale de raffinage (SONARA), censée assurer l’autosuffisance énergétique du pays, est sous-dimensionnée et ne parvient pas à répondre à la demande nationale. Résultat : le Cameroun doit acheter son propre pétrole sous forme de carburant raffiné à des prix exorbitants, une aberration économique qui enrichit les pays exportateurs au détriment de l’économie locale. Cette situation est aggravée par la mauvaise gestion et la corruption, qui retardent toute tentative de modernisation de l’industrie pétrolière nationale.

Au lieu de miser sur la transformation locale de ses ressources, le Cameroun continue d’entretenir une dépendance massive aux importations, y compris pour des produits de première nécessité qu’il pourrait facilement produire lui-même. Le riz en est un exemple typique. Le pays dispose de vastes terres agricoles propices à la culture du riz, mais il continue d’importer des tonnes de riz d’Asie, mettant ainsi en péril les producteurs locaux. Les agriculteurs camerounais peinent à écouler leurs récoltes en raison d’un manque de soutien gouvernemental et d’une concurrence déloyale imposée par les importations subventionnées. Cette politique de négligence volontaire empêche le développement d’une agriculture nationale forte et durable, obligeant le pays à dépendre de l’extérieur pour nourrir sa propre population.

La dépendance aux importations ne se limite pas aux denrées alimentaires. Même les produits manufacturés les plus élémentaires, comme les clous, les allumettes ou les ustensiles de cuisine, sont importés de Chine et d’autres pays asiatiques. Cette situation est le résultat direct d’une absence de politique industrielle sérieuse. Plutôt que d’encourager la création d’usines locales pour produire ces biens de consommation courante, l’État continue de favoriser les importations, sous l’influence d’un système où les élites préfèrent tirer profit de contrats d’importation plutôt que d’investir dans des industries nationales.

Cette préférence pour les importations est entretenue par une classe dirigeante qui trouve son intérêt dans le maintien du statu quo. Les marchés publics sont systématiquement attribués à des entreprises étrangères ou à des intermédiaires locaux qui se contentent d’importer des biens, au lieu de promouvoir des entreprises de production locale. Ce système permet aux responsables politiques et aux hauts fonctionnaires de détourner des fonds à travers des contrats surfacturés, sans jamais investir dans des infrastructures industrielles qui pourraient garantir une autonomie économique au pays. Les grandes fortunes camerounaises, plutôt que de développer des industries nationales capables de créer de la richesse et des emplois, préfèrent placer leur argent à l’étranger, notamment dans l’immobilier en Europe et en Amérique du Nord. Cette fuite des capitaux prive le Cameroun d’investissements essentiels à son développement, aggravant ainsi sa dépendance économique.

VIII. Le refuse du Changement : Le Cameroun Face à la Peur de l’Alternance

Le Cameroun est un pays où le pouvoir politique semble figé dans le temps, verrouillé entre les mains d’une seule personne depuis plus de quarante ans. Paul Biya, président depuis 1982, incarne cette résistance obstinée au changement, ce refus de l’alternance qui empêche toute évolution politique et économique du pays. Là où d’autres nations africaines ont expérimenté des transitions démocratiques, avec des alternances parfois difficiles mais nécessaires, le Cameroun est resté sous l’emprise d’un régime qui s’est organisé pour ne jamais céder le pouvoir.

Le système en place a été minutieusement conçu pour rendre toute alternance impossible. Les révisions constitutionnelles ont joué un rôle clé dans ce verrouillage. En 2008, Paul Biya a supprimé la limitation des mandats présidentiels, balayant ainsi l’une des rares garanties qui auraient pu permettre une transition politique. Cette modification constitutionnelle, imposée sans véritable consultation populaire, a non seulement consolidé son règne, mais a également envoyé un message clair à l’ensemble du pays : le pouvoir n’est pas fait pour être transmis, mais pour être conservé indéfiniment. Cette manœuvre s’ajoute à une longue tradition de contrôle des institutions, où chaque organe censé garantir un processus démocratique équilibré est en réalité totalement soumis au régime. Le Conseil Constitutionnel, censé être un arbitre impartial des élections et des conflits institutionnels, est composé de personnalités choisies pour leur loyauté envers le président. De même, ELECAM, l’organe chargé d’organiser les élections, fonctionne plus comme une branche administrative du parti au pouvoir que comme un organisme indépendant. Quant à l’armée, elle est largement dirigée par des officiers issus de cercles proches du régime, assurant ainsi une protection totale au pouvoir en place.

Mais le verrouillage du pouvoir ne repose pas uniquement sur des manœuvres juridiques et administratives. Toute opposition sérieuse est systématiquement réprimée. Les figures politiques qui osent contester le régime sont persécutées, arrêtées ou contraintes à l’exil. Maurice Kamto, principal adversaire de Paul Biya lors des élections présidentielles de 2018, en a fait les frais. Après avoir contesté les résultats du scrutin, il a été arrêté et emprisonné pendant plusieurs mois, dans ce qui ressemblait davantage à une tentative d’intimidation qu’à une procédure judiciaire légitime. Cette répression ne touche pas seulement les leaders politiques, mais aussi les militants, les journalistes et les citoyens ordinaires qui expriment leur mécontentement. Les manifestations sont violemment dispersées, les mouvements contestataires infiltrés et neutralisés, et les médias indépendants sont réduits au silence par des menaces ou des sanctions administratives.

Face à cette réalité, une partie de la population camerounaise a fini par intérioriser la peur du changement. Plutôt que de revendiquer activement une alternance politique, beaucoup préfèrent rester passifs, persuadés que toute tentative de transition pourrait mener au chaos. Cette crainte n’est pas née du hasard ; elle a été soigneusement entretenue par le régime à travers un contrôle strict des médias d’État, qui diffusent en permanence l’idée que sans Paul Biya, le pays sombrerait dans l’anarchie et la guerre civile. Ce discours, largement répété sur les chaînes de télévision nationales et relayé par les responsables du parti au pouvoir, vise à convaincre les Camerounais que toute alternance représenterait un danger plus grand que la stagnation actuelle.

Les élections présidentielles de 2018 ont illustré à quel point le régime sait manipuler cette peur du changement en jouant sur les divisions ethniques. Plutôt que d’affronter ses opposants sur le terrain des idées et des programmes, le pouvoir en place a utilisé le tribalisme comme une arme politique. En opposant les différentes communautés les unes aux autres, il a empêché la formation d’un front uni contre le régime. Chaque candidat de l’opposition a été ramené à son appartenance ethnique, réduisant ainsi le débat électoral à une compétition entre groupes régionaux plutôt qu’à une confrontation entre visions politiques. Cette stratégie a efficacement fragmenté l’opposition, empêchant une coalition capable de menacer réellement le pouvoir en place.

Ce climat de méfiance et de division empêche toute mobilisation citoyenne de grande ampleur. Même lorsque des crises éclatent, comme lors des manifestations de 2008 contre la vie chère ou des revendications anglophones en 2016, elles restent isolées et ne parviennent pas à créer un mouvement national susceptible d’imposer une véritable alternance. Les Camerounais sont souvent réduits à des actes de résistance individuels, comme l’exil, le repli sur soi ou la résignation. Plutôt que de revendiquer collectivement un changement, beaucoup se contentent de trouver des solutions personnelles pour échapper à un système qui ne leur offre aucune perspective.

Pourtant, l’histoire récente de l’Afrique montre que le changement est possible. Des pays comme le Ghana, le Sénégal ou encore la Zambie ont réussi à organiser des alternances démocratiques sans sombrer dans le chaos annoncé par les régimes en place. Ces transitions ont été difficiles, mais elles ont prouvé que l’alternance n’est pas synonyme d’instabilité, au contraire. Le Cameroun pourrait s’inspirer de ces expériences pour sortir du cycle de stagnation dans lequel il est enfermé. Mais tant que la peur du changement restera ancrée dans les esprits, tant que le pouvoir continuera à entretenir cette crainte en manipulant les institutions et en réprimant toute voix dissidente, le pays restera prisonnier d’un modèle politique qui l’empêche d’évoluer.

Le refus de l’alternance ne nuit pas seulement à la démocratie, il compromet également le développement économique et social du Cameroun. Un pays qui ne renouvelle pas sa classe dirigeante, qui ne permet pas l’émergence de nouvelles idées et de nouvelles stratégies de gouvernance, est condamné à l’immobilisme. L’absence de transition politique empêche toute modernisation des institutions et freine les réformes essentielles à la croissance. Tant que le Cameroun restera bloqué dans cette logique, il continuera de perdre du temps, accumulant du retard par rapport aux autres nations africaines qui ont su embrasser le changement.

IX. Les Ressources Humaines : Un Atout Devenu un Fardeau pour l'Afrique et le Cameroun

Le Cameroun, comme de nombreux pays africains, regorge d’une richesse inestimable : ses ressources humaines. Avec une population jeune, dynamique et en quête d’opportunités, le pays possède tout le potentiel nécessaire pour assurer son développement. Pourtant, cette même force se transforme en un instrument de domination entre les mains des grandes puissances et d’une élite locale qui préfère servir des intérêts extérieurs plutôt que de bâtir un avenir souverain. Au lieu d’investir dans la formation, l’emploi et l’innovation, le Cameroun abandonne ses talents, alimentant ainsi un cycle de dépendance et de fuite des cerveaux dont profitent les économies étrangères.

L’un des aspects les plus flagrants de cette emprise sur les ressources humaines camerounaises réside dans l’émigration massive des cerveaux. Chaque année, des milliers de jeunes diplômés quittent le pays, attirés par des conditions de vie et de travail bien meilleures en Europe, en Amérique du Nord ou dans les pays du Golfe. Médecins, ingénieurs, chercheurs, entrepreneurs, tous cherchent ailleurs ce que leur propre pays refuse de leur offrir : des infrastructures adaptées, une rémunération décente et un environnement propice à l’innovation. Cette fuite des compétences, loin d’être accidentelle, est entretenue par les pays occidentaux qui, grâce à des politiques d’immigration sélective, captent les meilleurs éléments africains pour renforcer leurs propres économies. Pendant ce temps, le Cameroun, incapable de retenir ses talents, se retrouve privé d’une main-d’œuvre qualifiée, aggravant ainsi son retard technologique et économique.

L’exploitation des ressources humaines ne se limite pas aux élites intellectuelles. Le Cameroun est également une source intarissable de main-d’œuvre bon marché exploitée par des entreprises étrangères. Dans les plantations, les industries extractives ou les services informels, les Camerounais sont souvent employés à des salaires dérisoires, dans des conditions précaires qui rappellent les mécanismes d’exploitation de l’ère coloniale. Les multinationales, notamment dans le secteur agro-industriel et minier, bénéficient de contrats avantageux leur permettant d’accéder à une main-d’œuvre abondante et sous-payée. Cette situation est entretenue par des politiques gouvernementales qui, loin de protéger les travailleurs, facilitent la mise en place de ce système en échange de commissions et d’avantages personnels.

L’éducation, qui devrait être le socle du développement et de l’émancipation, est elle aussi détournée pour servir les intérêts des puissances étrangères. Les universités camerounaises, sous-financées et mal équipées, forment des milliers de jeunes sans réelle insertion professionnelle. Les meilleurs d’entre eux sont immédiatement repérés et intégrés dans des programmes d’études à l’étranger, souvent avec l’idée qu’ils ne reviendront jamais. Ces talents, qui auraient pu transformer le Cameroun de l’intérieur, se retrouvent à enrichir les laboratoires, les hôpitaux et les entreprises occidentales. Pendant ce temps, les infrastructures locales se dégradent, et le pays reste dépendant des expertises et des technologies étrangères, renforçant ainsi son état de soumission.

Le maintien du Cameroun dans cette dynamique de dépendance repose également sur la faiblesse des politiques nationales en matière d’innovation et de recherche. Les États qui ont su capitaliser sur leurs ressources humaines, comme la Chine ou l’Inde, ont investi massivement dans l’éducation scientifique, les industries de pointe et le soutien aux jeunes entrepreneurs. À l’inverse, le Cameroun préfère accorder des marchés aux entreprises étrangères plutôt que de développer une industrie locale forte. Les brevets et les innovations issus du continent sont souvent récupérés par des entreprises occidentales, laissant les chercheurs africains dans une situation de précarité et d’impuissance face à un système qui les prive des fruits de leur travail.

La conséquence directe de cette gestion défaillante des ressources humaines est un pays qui tourne en rond, incapable de construire un modèle économique autonome. Le Cameroun ne manque pas de talents, mais ces talents sont systématiquement captés, exploités ou marginalisés. Ceux qui restent sont soit contraints de travailler pour des intérêts étrangers, soit poussés à l’exil, soit réduits au silence par une administration qui ne tolère aucune remise en question de l’ordre établi. Cette stratégie, délibérément encouragée par les grandes puissances, garantit que l’Afrique en général, et le Cameroun en particulier, ne puissent jamais pleinement exploiter leur potentiel.

Conclusion : Le Cameroun et l’Afrique, Prisonniers de Leurs Propre Chaînes

L’Afrique, et le Cameroun en particulier, ne souffrent ni d’un manque de richesses ni d’un déficit de talents. Au contraire, ces territoires regorgent de ressources naturelles et humaines qui, bien exploitées, pourraient en faire des puissances économiques et géopolitiques majeures. Pourtant, ces atouts sont systématiquement détournés ou exploités au profit d’intérêts extérieurs et d’une élite dirigeante qui refuse le changement. Loin d’être un simple retard de développement, cette stagnation est le résultat d’un système conçu pour maintenir le continent dans la dépendance, à travers la corruption, la fuite des cerveaux, l’exploitation des ressources sans valeur ajoutée et la division des populations.

Le Cameroun illustre parfaitement ces blocages. Alors qu’il pourrait être un modèle de réussite en Afrique, le pays est enfermé dans un cycle où l’immobilisme politique, la mauvaise gestion économique et l’absence de vision stratégique freinent toute avancée. Le pouvoir s’accroche à des méthodes dépassées, empêchant l’émergence d’une nouvelle génération de leaders et d’entrepreneurs capables de moderniser le pays. La jeunesse, pourtant dynamique et ambitieuse, est soit marginalisée, soit contrainte à l’exil, laissant le pays sans renouvellement et sans moteur de transformation.

L’Afrique et le Cameroun ne pourront sortir de cette impasse que par une prise de conscience collective. Le changement ne viendra ni des grandes puissances ni des élites en place, mais de la volonté du peuple à exiger une gouvernance transparente et tournée vers l’intérêt général. La valorisation des ressources humaines, l’investissement dans une industrie locale et la fin des divisions ethniques et régionales sont des étapes indispensables pour amorcer un véritable renouveau. Tant que ces réformes ne seront pas engagées, l’Afrique continuera d’être un continent exploité, et le Cameroun, un pays aux promesses non tenues. Mais si les citoyens décident de prendre leur destin en main, alors le futur pourrait être bien différent. L’heure est venue de briser les chaînes et de transformer enfin le potentiel en réalité.

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